28 mars 2024

Israël dans la doctrine française

Israël dans la doctrine française, par Shumel Trigano
 
La politique de la V° République, envers Israël n’est pas le produit du hasard et de la circonstance, voire de la simple opportunité. Une doctrine l’inspire dont on peut retrouver la charte dans la fameuse conférence du général De Gaulle en 1967, où il fustigea le «peuple sûr de lui-même et dominateur ». Ce texte énonce en fait les principes qui ont gouverné, jusqu’à ce jour, la politique française, celle du Quai d’Orsay. Ils permettent d’en comprendre la parfaite cohérence malgré des contradictions qui ne sont qu’apparentes.

Il définit plus que la politique des gaullistes et de la droite. La politique étrangère n’est pas en effet, dans ce pays, l’objet d’un débat, que ce soit dans l’arène des partis, du parlement, ou de l’opinion publique, de sorte que l’on peut avancer qu’elle représente la politique de La France. En voici le modèle.

 

Les 7 principes de la doctrine

1) Israël expression du Juif éternel, « dominateur »

Dans ses fondements, la doctrine concernant Israël assimile les Juifs et Israël, loin des distinguos républicains classiques qui différencie Israélites et Israéliens. « Certains redoutaient que les Juifs, jusqu’alors dispersés mais qui étaient restés ce qu’ils avaient été de tous temps, c’est à dire un peuple d’élite, sûr de lui même et dominateur, n’en viennent une fois rassemblés dans le site de leur ancienne grandeur à changer en ambition ardente et conquérante les souhaits très émouvants qu’ils formaient depuis 19 siècles ».

En somme :

*même persécutés, les Juifs étaient « dominateurs » *la condition israélienne ressuscite ce qui avait valu aux Juifs d’être haïs : cette propension à la domination et cette morale élitiste *un tri sélectif est fait entre les Juifs « fréquentables » (les non-sionsites) et ceux qui ne le sont pas (les sionistes), en fonction du critère de leur attitude souhaitée : « on se demandait même chez beaucoup de Juifs si l’implantation (d’Israël)… n’allait pas entrainer d’incessants … conflits ».

A ce propos, Juppé a récemment émis une opinion plutôt ahurissante, prétendant que la majorité des Israéliens était pour « la paix » et que l’obstacle était Natanyahou, comme si Israël était une république bananière où un gouvernement pouvait subsister sans base démocratique. Ce partage entre deux types de Juifs est aussi tout à fait à l’œuvre sur la scène publique et médiatique actuelle.

2) Le Lobby juif

Elle construit une image du Juif possiblement qui se veut laudative mais sur laquelle pèse un soupçon : « peuple d’élite, sûr de lui même et dominateur », certes, mis aussi « les vastes concours en argent, en influence, en propagande que les Israéliens recevaient des milieux Juifs d’Amérique et d’Europe », en d’autres termes le « lobby juif ».

On se souvient du rôle important joué par cette idée dans la politique française lorsque Chirac s’était opposé à la politique américaine lors de la guerre du Golfe et alors que l’antisémitisme se développait. Il ne fallait surtout pas que l’on parle d’antisémitisme pour ne pas s’attirer les foudres du « lobby juif » américain, crédité d’une influence considérable sur la présidence des Etats Unis. Ce qui est toujours le cas quand par exemple on attribue aujourd’hui les revirements d’Obama sur la Palestine au poids de l’électorat juif que l’on veut bien distinguer de l’électorat américain.

3) Reconnaissance d’une légitimité victimaire à Israël

La reconnaissance d’Israël ne va pas à une réalité historique et politique reconnue comme telle, comme si elle était due, mais elle est concédée par grâce : « en dépit du flot montant, tantôt descendant, des malveillances qu’ils suscitaient dans certains pays et à certaines époques, un capital (sic) considérable d’intérêt et même de sympathie s’était accumulé en leur (les Juifs) faveur, surtout, il faut bien le dire dans la chrétienté : un capital qui était issu de l’immense souvenir du testament nourri par toutes les sources d’une magnifique liturgie, entretenu par la commisération qu’inspirait leur antique malheur et que poétisait chez nous la légende du Juif errant accru par les abominables persécutions qu’ils avaient subies pendant la deuxième guerre mondiale ».

Ce dernier point renforce le facteur de commisération en concédant à l’entité reconnue la qualité victimaire découlant de la Shoah. Le lien d’Israël avec l’antisémitisme européen et la Shoah est le facteur décisif de la reconnaissance et de la légitimité d’un Etat d’Israël. Dans le même discours de Gaulle parle de l’installation d’Israël « dans un quartier de Jérusalem dont il s’était emparé » – ce qui est une drôle de façon de rendre compte de la guerre déclenchée par les Etats arabes, en 1948 et en 1967. « Jérusalem devrait recevoir un statut international ». L’Etat d’Israël est donc un occupant à Jérusalem ce qui est un indice du déni de sa légitimité historique sur tout le territoire israélien.

Toutes les opinions récemment exprimées par Juppé et Sarkozy sur l’impossible et l’improbable caractère « juif » de l’Etat d’Israël s’inscrivent dans cette perspective.

4) Le péché originel

Mais même la légitimité victimaire est entachée d’un « péché originel : « On pouvait se demander…, si l’implantation de cette communauté sur des terres qui avaient été acquises dans des conditions plus ou moins justifiables et au milieu des peuples arabes qui lui étaient foncièrement hostiles, n’allait pas entrainer d’incessants, d’interminables frictions et conflits ». Il est aussi question « du sort scandaleux des réfugiés de Jordanie ».

*C’est dire la dette morale que porte l’existence d’Israël et la moralité frelatée (« conditions plus ou moins justifiables ») de sa fondation : une malversation, en somme, une violence, une injustice.

*L’Etat d’Israël est donc un facteur de conflit dans son essence et son existence mêmes, les Arabes sont exonérés de toute responsabilité car les Juifs sont par principe coupables. Le peuple juif n’a pas le droit en somme à une autodétermination politique et l’Etat d’Israël ne doit pas assumer sa souveraineté comme un Etat normal. Il n’est pas un Etat normal.

*Il doit rester « petit » : « on avait vu en effet un Etat d’Israël guerrier et résolu à s’agrandir. Ensuite l’action qu’il menait pour doubler sa population par l’immigration de nouveaux éléments, donnait à penser que le territoire qu’il avait acquis ne lui suffirait pas longtemps et qu’il serait porté pour l’agrandir à utiliser toute occasion qui se présenterait ».

En somme c’est un Etat qui par nature est porté à sortir du cadre victimaire et compatissant – et pourtant injuste – de son existence. Et quelle falsification de la réalité historique concernant cet agrandissement démographique résultant du fait que les Etats arabes nouvellement indépendants avaient expulsé un million de Juifs dont 600 000 avaient trouvé un havre en Israël ! De cela, les Etats arabes ne sont pas coupables !

Tout le pro-palestinisme de la France s’inscrit dans cette perspective.

5) La politique « disproportionnée »

C’est pourquoi « nous lui prodiguions des avis de modération ». La France ici se fait paternaliste, morigénant cet Etat qui en fait n’existe que par la condescendance des Puissances dont la France, bien sûr (et non du fait de sa réalité intrinsèque) :il ne doit surtout pas sortir du petit créneau qui lui est concédé : « l’établissement de leur Etat sur le territoire que leur avaient reconnu les Puissances tout en désirant qu’ils parviennent en usant d’un peu de modestie à trouver avec leurs voisins un modus vivendi ».

Il y a quelques années l’ambassadeur français à Londres vitupérait contre « ce petit Etat de m… », la grenouille qui veut se faire aussi grosse que le bœuf…

6) La défense d’Israël au bord de l’abîme

Mais attention, « nous n’admettrions pas qu’il fut détruit »… L’existence d’Israël se situe entre l’obligation de réserve sur le plan de la souveraineté et sa destruction potentielle. Si La France s’opposerait à sa destruction, elle n’apprécie pas qu’il sorte de sa « modestie », c’est à dire qu’il soit pleinement souverain. « Si Israël est attaqué, dis-je alors en substance (à Abba Eban), nous ne le laisserons pas détruire mais si vous (Israël) vous attaquez nous condamnerons votre initiative » : telle est la définition de ce que doit être l’espace vital d’Israël

7) L’intérêt français prévaut

La France a néanmoins des intérêts (égoïstes) mais drapés dans la vertu morale La « morale » : « une fois mis un terme à l’affaire algérienne » (la fin du colonialisme français). L’intérêt : « nous avions repris avec les peuples arabes d’Orient la même politique d’amitié, de coopération… dont la raison et le sentiment font qu’elle doit être aujourd’hui une des bases fondamentales de notre action extérieure. » Et si tel est le cas, dans l’affirmation de l’intérêt français, lui sans morale aucune, qu’en est-il des jugements moraux et idéologiques concernant Israël ?

La cohérence de la politique française

Ces 7 points doctrinaux expliquent la politique française qui peut, comme on le voit aujourd’hui, allier la compassion pour la Shoah ou à la destruction possible de l’Etat au désintérêt pour sa capacité à assurer sa vie et exercer sa souveraineté (on se souvient de la condamnation cinglante par Sarkozy des « assassinats ciblés », qu’il s’est largement permis en Libye et en Afghanistan). Dans toutes les arènes de la souveraineté, la politique française a lâché Israël. Les expressions de Juppé et de Sarkozy sur le fait que l’Etat d’Israël ne peut se dire un Etat « juif », sur le fait « colonial » à Jérusalem équivalent à une contestation des fondements mêmes de son existence. Le vote à l’UNESCO ouvre aussi la porte au révisionnisme palestinien en matière de lieux saints et historiques. Mais la France se réveille(ra) quand il sera question de la destruction possible d’Israël par l’Iran. A preuve les récentes déclarations de Sarkozy au Congrès juif mondial… « La France sera toujours aux côtés d’Israël face à un Iran qui le menace et qui est en train de développer des armes nucléaires. »

Néanmoins, on peut être très sceptique pour ce qui est de la « protection » de la France. Elle rappelle la parole de Sartre à propos du rapport aux Juifs du « du démocrate » , dans les Réflexions sur la question juive :’le démocrate a fort à faire, il s’occupe du Juif quand il en a le loisir »… Nous avons un exemple très récent de la validité des assurances (de surcroît internationales) de la France. Elle est à l’origine de la résolution 1701 du conseil de sécurité qui mettait fin à la deuxième guerre du Liban et assurait que la région au sud du Litani ne verrait pas le retour du Hezbollah et son réarmement. Israël s’était retiré à cette condition, et les militaires français devaient constituer la FINUL chargée de veiller à la mise en oeuvre de cette résolution. Or tout le monde sait très bien que cette force a laissé le Hezbollah se réarmer à un niveau jamais atteint et coloniser les territoires du sud. Pire quand la FINUL fut menacée il y a quelques mois, Sarkozy menaça de retirer ses troupes…

Shmuel Trigano

Directeur de la revue Controverses

2 réflexions sur « Israël dans la doctrine française »

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