Sa réponse est négative, pour l’essentiel, même s’il concède (du bout des doigts) l’existence d’une idéologie totalitaire intitulée islamisme, mais il en nie l’aspect institutionnel, à savoir l’existence d’un Etat qui l’incarnerait….
Ainsi le coeur de son article vise tout d’abord à comprendre pourquoi certains éléments de la gauche américaine reprend à son compte ce qualiquatif. Ce qui pousse Daniel Vernet à ne pas le rejetter “d’un revers de main”. Néanmoins, il en conteste le ” raisonnement analogique” celui qui compare l’islamisme au nazisme et au communisme, non pas du point de vue de la doctrine mais par la séquence historique qui précéda à chaque fois la confrontation finale (occupation de la Ruhr par Hitler en 1936, Accords de Munich en 1938, crise des fusées à Cuba en 1962).
Daniel Vernet le justifie par ces termes : ” Les analogies peuvent être trompeuses. Si le fondamentalisme islamiste est une idéologie totalitaire, utilisant parfois le terrorisme, et s’il doit être combattu comme tel, il ne dispose pas des appareils d’Etat que les grands totalitarismes du XXème siècle mettaient au service de leurs ambitions. Les moyens de la guerre classique n’en viendront pas à bout. Se tromper de diagnostic débouche sur une erreur de description et de nouvelles catastrophes. Voir l’Irak.”
Et l’Iran donc ? L’islamisme n’y dispose-t-il pas d’un “appareil d’Etat” ? Et le Liban ? Le Hezbollah n’y fait-il pas le jour et la nuit au coeur même de l’appareil d’Etat , y possédant même deux ministres, décidant de la guerre et de la “paix” (trêve en réalité) ?…
Même erreur d’analyse chez François Heisbourg qui nie que la lutte contre le Hezbollah soit l’un des éléments de “la lutte globale contre le terrorisme” (Times magazine, 7-14 août, p.20) alors qu’il s’agit pour lui d’une lutte régionale d’influence entre l’Iran et le monde dit arabe…
Vernet et Heisbourg rejoignent au fond la cohorte de ceux qui considèrent d’une part que les apparences islamistes de divers mouvements sont plutôt des réactions idéologiques à un certain nombre de manque sociopolitique qu’une stratégie globale à part entière. D’autre part, ‘il n’y a pas pour eux de mouvance djihadiste de type panislamiste, mais des luttes classiques de géopolitique utilisant dans la rhétorique certains éléments religieux alors que le fond consiste toujours en un nationalisme à chaque fois singulier. D’où l’impossibilité de le briser, voir l’Irak et aujourd’hui le Hezbollah au Liban…
Rien n’est plus faux que cette analyse. Pour plusieurs raisons.
En premier lieu, elle en reste à la vieille conception marxisante de la prédominance de l’économique sur le spirituel stipulant que c’est la misère qui produit le “terrorisme”, pourtant tout démontre le contraire, ne serait-ce que l’origine sociale de beaucoup de “martyrs” islamistes, ou encore le fait que le totalitarisme islamiste peut être appelé tel parce qu’il prétend être supérieur à tout autre système (en ce sens c’est un hypernationalisme comme pouvaient l’être le militarisme japonais et le national socialisme allemand, le fascisme italien, le communisme soviétique), refusant par exemple qu’en Afghanistan il existe des écoles pour filles… Comment classer d’ailleurs ce dernier exemple ? Est-ce un “acte de résistance” ? Du “nationalisme ” ? Ou plutôt un refus global de la Modernité, certes née en Occident, mais qui aujourd’hui tout comme l’électricité s’avère être une technique universelle majeure du développement humain au-delà des formes sociales historiquement déterminées.
En second lieu, cette sous-estimation de la variable spirituelle a pour conséquence le fait de ne pas comprendre que l’islamisme a imposé sa version de l’islam parce qu’elle était déjà sous-jacente dans le feu nationalisme arabe, à savoir et toujours la notion de supériorité que le Coran sacralise. L’islamisme est alors tout à fait cohérent : le Coran est la Vérité, il est donc impossible que le mode de vie issue du judéochristianisme y soit supérieur…
Autrement dit, si la modernité démocratique triomphe, alors le Coran a tort, ce qui est impensable. Donc la lutte doit être sans pitié. Les nationalistes arabes pensaient, eux, qu’un minimum de récupération de certaines techniques de gestion de l’économie et de l’urbanité était possible, aussi le fait d’aller à la mosquée ou de porter le voile importait peu, voire pouvait être considéré comme désuet ( le Coran fut brûlé en 1958 dans les rues de Bagdad par les militaires nationalistes putchistes rappelle Gilbert Meynier dans son “Histoire intérieure du FLN” algérien…), à partir du moment où la question de la supériorité de la “civilisation arabe” restait le socle fondamental. Sauf qu’il y eut la dégénérescence bureaucratique et mafieuse des Etats mis en place à la suite de la décolonisation, la corruption, la progression de l’idéal démocratique, le confort, la techno-urbanité, autant d’éléments qui ne pouvaient que dissoudre cette prétendue supériorité. D’où la réaction islamiste pour s’en protéger, en appelant dans ce cas au retour complet, total, de tous les signes qui ont pu être associés au triomphe de l’islam du début.
En troisième lieu enfin, les adeptes de la sous-estimation de l’islamisme comme praticien de l’islam du début, (n’y voyant qu’un mouvement idéologique réactif), n’ont de cesse de clamer l’échec, la défaite, des pays démocratiques en lutte contre lui, parce que la victoire n’est pas encore au bout ; en gros il aurait fallu que cela soit une promenade de santé, ou alors un ennui technique à résoudre avec la logistique adéquate. Comme si, dans nos sociétés fonctionnalistes, tout devrait marcher au doigt et à l’oeil.
La notion de temps disparaît, et l’idée qu’il faudrait dix ans voire plus pour créer un semblant d’ordre en Irak semble glisser comme s’il s’agissait d’un argument mineur. Tout, tout de suite. Le fait que les Kurdes et les shiites modérés aient vu leur sort amélioré en Irak est passé sous silence, ou quasiment. Le fait que les principales revendications des islamistes dans ce pays ou en Afghanistan reposent sur d’innombrables interdictions du mode de vie urbain est superbement ignoré.
Pourtant, il faudrait plutôt accentuer l’analyse et oui critiquer pour le coup l’administration Bush en pointant du doigt sa considérable commisération envers l’islamisme saoudien et pakistanais… N’est-ce pas lui qui est aujourd’hui l’un des fondements théologique du djihadisme mondial en compagnie de l’islamisme khomenyste ?…
On le voit, la parabole de la paille et de la poutre, reste un critère encore valable pour mesurer les analyses à l’heure où les affrontements majeurs sont devant nous…
Le fait que des musulmans britannique et européens condamnent “le terrorisme” tout en mettant cependant en cause la politique étrangère de l’UK en dit long sur la recherche de légitimation alors que la source du conflit se trouve dans le refus islamistede voir l’islam devenir une religion comme les autres, distinguant le temporel du spirituel de telle sorte qu’il accepterait de ne plus être le critère dernier de la vie au jour le jour, voilà l’enjeu. Que l’islamisme ne peut supporter. D’où sa montée aux enchères.
Ainsi, à quand la revendication stipulant qu’il faut laisser les musulmans se développer comme Etat dans l’Etat (par exemple en acceptant de plus en plus ses exigences courantes sur la séparation des sexes, la visibilité des sapins de Noël, des croix, du cochon…) sous peine de recevoir une bombe nucléaire sale avec 100 000 morts d’entrée de jeu ?…
Les vertueux intellectuels pro-islam pourraient condamner cette revendication tout en disant qu’ils la comprennent puisque en effet “les” musulmans semblent “oppressés” dans la mesure où ils ne peuvent pas se développer en tant que tels avec la Sharia comme Constitution…
Reculer sur l’analyse revient au fond à être refoulé dans les cordes et à céder toujours plus puisque en effet tant que l’islam n’est pas devenu la loi fondamentale ” de l’Andalousie jusqu’en Inde” (déjà pour rétablir la donne…), la “paix” ne sera pas possible, sauf celle que donne le cimet(i)erre…
Il est dommage qu’un tel débat n’est pas lieu et que cela soit encore la vieille argumentation qui règne alors qu’elle a pourtant échoué en 1989 avec l’écroulement soviétique. Selon elle, en effet, la stratégie de Reagan visant à pousser l’URSS dans la course aux armements ne ferait qu’alimenter l’animosité alors qu’elle a permis sa disparition…
Il est temps de changer la grille de lecture d’un réel qui est en train de nous éclater de plus en plus à la figure…