22 mars 2025
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Religion et politique : « Il nous faut réapprendre à parler politiquement de la religion.»

Quelques extraits de la correspondance de Tocqueville ont été repris sur le présent site. Ces extraits ont trait à l’islam. Ils ne résument aucunement ni l’œuvre de Tocqueville, cela va de soi, ni la pièce de théâtre « Tocqueville ou l’éloge de l’esprit critique » (1). Cependant, même sortis de tout contexte, ils rappellent qu’il y a une différence entre le jugement moral subjectif que tout un chacun peut porter en privé sur telle ou telle religion et l’analyse politique que l’on peut – doit – tenter de faire de la religion. Ainsi, dans les extraits cités, Tocqueville parle-t-il des « tendances sociales et politiques » de l’islam. Ces considérations nous renvoient au livre passionnant de Pierre Manent « LA RAISON DES NATIONS. Réflexions sur la démocratie en Europe » (2), où l’on peut lire par exemple :

∑ «… comment conduire une délibération politique sur un grand fait religieux ? Qu’est-ce que cela veut dire de considérer une religion non comme la matière indifférente d’un droit humain général ou universel à l’intérieur d’un régime démocratique, mais comme un grand fait collectif, un élément politique objectif, qui contribue puissamment à donner à notre monde sa forme et sa couleur, et peut-être à déterminer son destin ? Il nous faut réapprendre à parler politiquement de la religion.»
∑ «… la religion n’est objective pour nous que comme fait politique. »

L’ouvrage de Pierre Manent est dense, il nécessite une lecture d’ensemble rigoureuse. Mais quelques extraits donneront peut-être envie à certains internautes de lire cet ouvrage qui dégage des problématiques essentielles à travers trois sujets – formant les trois parties du livre – la démocratie, la nation, la religion. Ceux qui regrettent de vivre sous le régime du « politiquement correct » ne seront pas déçus. Pierre Manent ose aborder beaucoup de sujets dont il n’est pas facile de parler, y compris par exemple l’islam, Israël ou les risques de l’universalisme européen :

∑ «… le problème politique de l’islam, c’est qu’il n’a pas trouvé sa forme politique. »

∑ « Si nous cherchons à caractériser l’islam comme association humaine, je préfère dire, plus précisément, comme forme politique, nous dirons qu’il s’agit d’un empire, ou qu’il appartient à l’espèce des empires. »

∑ « Il est permis de voir là une des grandes causes de la difficulté de l’islam à pratiquer effectivement la démocratie : d’un côté, la Loi indiscutable exclut ou limite sévèrement beaucoup des libertés personnelles que réclame la démocratie ; de l’autre, l’énorme latitude de conduite des princes, ou des chefs, est incompatible avec le respect des lois démocratiques. Il y a là un chiasme débilitant dont l’islam a beaucoup de peine à se dégager. »

∑ « Là où l’islam cherche, jusqu’ici en vain, les voies d’une appropriation subjective qui puisse en faire la religion de libres sujets, les nations européennes cherchent, en vain jusqu’ici aussi, cette définition objective d’elles-mêmes qui ne cesse de leur échapper. Voudraient-elles ne former qu’une rencontre aléatoire et flottante de libres sujets, elles se heurtent désormais à l’objectivité de l’islam. L’islam les oblige à s’interroger sur leur être. S’il est notre ennemi, alors c’est au sens où, comme le dit Theodor Däubler dans un impressionnant poème, « l’ennemi est la figure de notre propre question. » »

∑ « L’Etat juif met sous les yeux des Européens les limites d’un universalisme qu’ils croyaient pouvoir déduire du long malheur des Juifs. »

∑ « L’existence pleinement nationale du petit Israël interpelle l’énorme Europe, ainsi que chacune des nations qui la composent, et invite les nations européennes à ne pas se cacher derrière l’Humanité. »

∑ « Quelles sont ces « valeurs européennes » ? La valeur européenne qui les résume toutes, c’est l’« ouverture à l’Autre », c’est un universalisme « sans frontières ». La particularité européenne réside alors dans une ouverture particulièrement généreuse à la généralité, ou l’universalité, humaine. Quoi qu’on pense de cette généreuse évaluation de notre générosité, il est clair que nous ne mentionnons alors l’Europe que pour l’annuler. Nous ne connaissons que l’humanité ! Nous n’avons pas d’existence propre … »

1) Une nouvelle représentation aura lieu les 26, 27, 28 et 29 avril prochains à 20h au théâtre Le Zanzibar Hôtel, 6 Passage de Ménilmontant, Paris 11ème, 01 40 24 08 98, tarif plein 10 Euros, réduit 7. Et un verre de cidre est offert après chaque représentation!

2) L’ESPRIT DE LA CITE, GALLIMARD 2006.

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