En 1994, cent jours suffiront aux extrémistes Hutus pour exterminer la quasi-totalité des Tutsis du Rwanda, soit près d’un million d’âmes. Au même moment, il était plus aisé de trouver un grand reporter dans un quelconque troquet de Tel Aviv ou de Ramallah que dans tout Kigali (au plus fort du génocide, Mark Doyle, de la BBC, était l’unique journaliste étranger présent sur place).
Au Congo, plus de trois millions de civils ont été victimes du conflit qui déchire le pays depuis 1998, tandis qu’au Soudan, le régime en place se livre depuis 2003 au nettoyage ethnique de la province occidentale du Darfour. On dénombre à ce jour 300 000 victimes et dix fois plus de réfugiés qui errent dans ce couloir de la mort grand comme la France.
A ce décompte macabre, il faut ajouter les millions de victimes des conflits qui, de l’Algérie frappée par le terrorisme islamiste à l’Afrique du Sud raciste de l’Apartheid en passant par l’Angola, le Mozambique, la Somalie, le Libéria ou l’Ethiopie, ont égrené le quotidien d’Africains bien peu, semble-t-il, télégéniques.
Ce qui est disproportionné, c’est le traitement discriminatoire infligé à Israël par l’organe suprême des relations internationales, les Nations Unies. Un rapport [1] de l’American Jewish Committee – ONG dont “la présence à l’ONU a été d’une grande portée depuis sa création” selon Kofi Annan – met en lumière la dérive onusienne.
En 2005, à l’issue de la 60ème Assemblée générale de l’ONU, 18 résolutions condamnant l’Etat juif furent adoptées tandis que le Soudan, vaquant tranquillement à ses activités ethnocidaires au Darfour, échappait à toute critique.
Autre exemple: la Charte des Nations Unies prévoit que “l’Assemblée générale tient une session annuelle régulière et, lorsque les circonstances l’exigent, des sessions extraordinaires” [2]. Sur les dix sessions extraordinaires d’urgence jamais convoquées, six furent consacrées à la mise au pilori d’Israël. Il va sans dire que les dizaines de millions de victimes du Rwanda, de l’Irak de Saddam, du Biafra, de la Chine de Mao, de la Syrie, du Cambodge de Pol Pot ou du Soudan n’eurent l’heur de figurer à l’ordre du jour des quatre autres sessions extraordinaires.
Il y a aussi le cas des Comités de l’Assemblée générale. Au nombre de 17 (Comités contre la torture, des droits de l’enfant, des droits de l’homme, etc.), un seul d’entre eux est dédié à un peuple en particulier: le Comité pour l’exercice des droits inaliénables du peuple palestinien. Dans le même esprit, l’interlocuteur onusien des réfugiés variera selon le cas: l’UNHCR pour tous les réfugiés de la planète (70 millions depuis 1950), l’UNRWA pour les seuls réfugiés palestiniens (726 000 en 1948) – seuls également à transmettre leur statut de réfugié à leur descendance, et ce en contradiction avec la Convention relative au statut des réfugiés adoptée en 1951 par l’ONU (fidèlement appliquée dans tous les autres cas).
Quant à la défunte Commission des droits de l’homme, présidée en 2003 par la Libye…, elle a cédé la place au non moins félon Conseil des droits de l’homme qui, à ce jour, a tenu plus de Sessions extraordinaires (trois, toutes consacrées à la condamnation des “graves violations israéliennes des droits de l’homme”) que de Sessions ordinaires (une, condamnant par ailleurs un seul pays nommément: Israël – mais était-ce nécessaire de le préciser?).
Ce qui est disproportionné, c’est l’accusation portée contre Israël d’être responsable de la montée de l’extrémisme religieux en terre d’Islam, là où la faute incombe pleinement aux autocraties arabo-musulmanes qui nourrissent au sein le mal qui est en train de les ronger.
Explication. Comme dans toute dictature qui se respecte, un contrôle des plus rigoureux y est exercé sur la presse, la télévision, la littérature, le cinéma, etc. Seule exception à la règle: le Coran. Même le plus laïcard des potentats de la région, le président tunisien Ben Ali – celui-là même qui interdit la diffusion du Figaro sur son sol le jour de la publication de la tribune du philosophe Robert Redeker –, ferait long feu s’il lui prenait l’envie d’interdire le Coran dans son pays.
C’est ainsi que ce qui devait arriver arriva. Seule littérature “subversive” autorisée, le Coran réunit autour de lui la plupart des esprits contestataires et révolutionnaires qui, humiliés par les pouvoirs en place, substituèrent au Petit Livre rouge de Mao le Petit Livre vert de Mahomet.
Ce qui est disproportionné, c’est le jugement porté par l’opinion publique européenne sur Israël, identifié comme étant la principale menace pour la paix dans le monde. Pour 59 % des personnes sondées [3], c’est Israël qui, plus que l’Iran, la Corée du Nord, la Syrie, le Pakistan ou l’Arabie saoudite, mettrait en péril la stabilité planétaire.
Considérer l’unique démocratie du Moyen-Orient comme étant plus dangereuse pour notre quiétude que les régimes tyranniques du docteur Folamour nord-coréen, des apprentis sorciers iraniens ou des mécènes saoudiens de l’Internationale salafiste, témoigne de l’état de décrépitude morale et intellectuelle qui frappe une Europe qui, une fois encore, préfère Dalladier à Churchill.
Gageons toutefois que les historiens qui, dans quelques décennies, se pencheront sur notre présent, ne se laisseront pas duper par les cris d’orfraie poussés par nos “humanistes” monomaniaques. D’ici-là, il serait bon de s’interroger sur les raisons du traitement d’exception appliqué au Dreyfus des nations. Ainsi, peut-être, réveillera-t-on le Zola qui sommeille en chacun de nous.
[1] “A Diminished World Body: An Overview of the UN and Israel”, American Jewish Committee, février 2006.
[2] Chapitre IV, Article 20 de la Charte des Nations Unies.
[3] Eurobaromètre Flash, “Irak et la paix dans le monde”, Commission européenne, novembre 2003.
Joël Rubinfeld est Président de l’Atlantis Institute