Tout d’abord les faits :
Selon la Constitution de 1960, la communauté chypriote turque (18 % de la population) avait obtenu une autonomie culturelle et religieuse ainsi qu’une situation enviable dans le système politique de Chypre. D’après les dispositions constitutionnelles, les Chypriotes turcs occupaient 30 % des postes dans la fonction publique et formaient 40 % de la force de la police et de l’armée. De plus, les Chypriotes turcs étaient représentés au sein du gouvernement par des membres de leur propre communauté, c’est-à-dire par le vice-président, qui possédait un droit de veto sur toutes les questions importantes, et par trois ministres sur un total de 10 ministres au gouvernement chypriote.
Malgré tout, les affrontements entre les deux communautés de l’île éclatèrent en décembre 1963, après que le président de l’époque, Mgr Makarios III, eut cherché à réduire le pouvoir législatif des représentants des Chypriotes turcs. Les Turcs se retirèrent du gouvernement et demandèrent la partition du pays. Malgré l’intervention des forces des Nations unies pour maintenir la paix, les tensions restèrent très fortes et les coups d’État se succédèrent jusqu’en 1974. La Turquie, jugeant menacés les intérêts de la communauté turque, intervint militairement et, en deux jours, occupa toute la partie nord de l’île.
Le 13 février 1975, un État chypriote turc fut proclamé dans le secteur turc. En 1983, la République turque de Chypre du Nord fut autoproclamée. Une ligne de démarcation entre les deux parties de l’île, appelée «ligne verte» par l’Onu et «ligne Attila» par les Turcs, fut tracée par les militaires turcs. En 1991, les Nations unies engagèrent à nouveau des pourparlers et proposèrent un plan prévoyant la création d’un État fédéral composé de deux communautés égales sur le plan politique. Les divergences persistent encore aujourd’hui entre les négociateurs, mais les possibilités d’aboutir à la paix sont devenues l’une des conditions de l’entrée de la Turquie et de Chypre dans l’Union européenne. Pour le moment, l’impasse demeure.
Qu’en est-il maintenant de la colonisation turque ?
Chypre: une nouvelle Alexandretta ?
Plus de vingt ans se sont écoulés depuis l’invasion et l’occupation turque d’une partie de Chypre et le cas précédant d’Alexandretta pèse comme une menace imminente sur Chypre.
Tout comme un demi – siècle auparavant pour Alexandretta, actuellement le scénario se déroule de façon identique à Chypre.
Premier pas: la protection de la minorité est invoqué. L’invasion, l’occupation et l’explosion de la population indigène sont suivies par l’afflux massif de colons qui permettent à la force d’occupation d’envahir même les régions occupées ancestralement par des Chypriotes turcs.
En augmentant le plus possible le nombre des colons par rapport aux Chypriotes turcs et aux Chypriotes grecs, Ankara réussit à exercer un contrôle plus fort et une “‘justification” lui permettant d’avoir de plus en plus de revendications sur Chypre.
On ne peut que de se demander pourquoi l’on permet que des choses arrivent conformément aux plans de la Turquie. A un moment où des pays, grands ou petits écartent les obstacles qui empêchent le libre mouvement de leurs citoyens d’un pays à un autre, pourquoi permet-on à la Turquie de marquer des frontières dans un petit pays tel que Chypre ?
En 1973, une année avant l’invasion, la population dans cette partie s’élevait à 236.962 habitants dont 162.041 étaient des Chypriotes grecs (y compris la petite minorité maronite) et 72.495 des Chypriotes turcs (micro-recensement de 1973). En 1974, de par l’accroissement naturel de la population, les Chypriotes grecs dans la région devaient être au nombre de 163.000. Après l’invasion turque de 1974, 148.000 Chypriotes grecs, ont été conduitsà aller loin de chez eux à cause de l’avance des troupes turques; 15.000 ont été chassés par les autorités turques après l’automne 1974; ainsi, environ 163.000 Chypriotes grecs sont devenus des réfugiés. En 1974 le nombre des réfugiés était de 201.000. Cependant, environ 40.000 personnes, qui étaient devenues des réfugiés en 1974 parce qu’elles vivaient dans de régions dangereuses près de la ligne d’occupation mais sous contrôle du gouvernement, sont retournés chez elles en 1997.
En 1993, seuls 742 Chypriotes grecs vivaient dans la partie sous occupation turque de Chypre, en comparaison des 163.000 Chypriotes grecs et des membres des petits groupes minoritaires y vivant en juillet 1974.
Pendant la période de juillet 1974 à décembre 1975, environ 43.000 Chypriotes turcs (selon de rapport du Secrétaire général des Nations unies, adressé à l’Assemblée Générale, 1978) se sont rendus dans les régions sous occupation turque, conformément à la politique du gouvernement turc visant à déraciner toute la population chypriote turque des villages et des villes où elle vivait.
Il s’agissait de rassembler tous les Chypriotes turcs dans la région occupée par les Turcs. Un petit nombre de Chypriotes turcs a résisté cette pression et continue de vivre dans la zone contrôlée par le gouvernement chypriote. Vers la fin de 1975, la population chypriote turque dans la partie occupée était environ de 115.000 habitants (selon des sources chypriotes turques). Ces chiffres ne comprennent pas l’armée turque ni les colons turcs.
Les sources chypriotes turques disent qu’en 1993 la population de la région occupée par les Turcs était à peu près de 190.000 habitants. Or, des études dιmographiques montrent que la population chypriote turque devait être d’environ 90.000 habitants sous-entendant qu’il y a eu l’arrivée de 100.000 colons turcs dans la région sous occupation turque.
Ahmet An donne ce chiffre pour indiquer le nombre des colons. Il dit “jusqu’en 1983 le nombre des colons s’élevait à 47.186” il a ajouté que “‘nous pouvons dire que ce chiffre a atteint les 100.000 dix ans plus tard” (Yeni Gag. 1993).
La réduction du nombre des Chypriotes turcs, qui s’élève actuellement à 12,9% de la population de jure, a été le résultat de l’émigration des Chypriotes turcs vers d’autres pays (surtout en Turquie, au Royaume Uni, au Canada, en Australie) et elle est estimé à 30.000 – 40.000 (selon des sources chypriotes turques).
Ces chiffres montrent que les colons représentent une grande proportion (52% en 1993) de la population dans la partie de Chypre sous occupation turque, que s’est une proportion assez significative pour jouer un rôle décisif dans la vie politique et économique de Chypre (occupée), tandis qu’en même temps elle modifie la balance démographique entre les turcophones (Chypriotes turcs et colons) et les Chypriotes grecs.
La présence turque dans la partie occupée est encore plus importante si l’on inclut également l’armée turque (35.000 hommes environ) et les familles des militaires. Environ 100.000 touristes turcs visitent la partie occupée chaque année et il est connu qu’un nombre important y reste comme résidents “illégaux”.
Avec l’importation des colons, tout de suite après l’invasion, le prétexte allégué par Ankara pour envahir l’île fut d’affirmer que c’ était une “opération de paix” destiné à “protéger les Chypriotes turcs” et à “rétablir, l’ordre constitutionnel”. Le but véritable de l’invasion et de l’occupation turque était en fait la réalisation de projets anciens fomontés par l’élite politico-militaire turque au détriment de Chypre.
Un document rédigé par un “officiel” chypriote turc dit qu’en octobre 1974 la population chypriote turque était de 115.000 habitants dont 32.039 se trouvaient “hors de la zone chypriote turque autonome”. Les journaux chypriotes turcs Halkin Sesi et Zaman avaient déclaré le 9.8.1977 que “selon un rapport du ministre du logement et de la réhabilitation, M. Hakki Atun, 20.934 familles pendant la période 1984-86 ou 83.650 personnes ont reçu des maisons.
On peut en conclure que des maison ont été accordées à cette époque aux 32.039 Chypriotes turcs qui se sont rendus dans les régions occupées, ainsi qu’à 50.000 autres personnes dont l’origine n’est pas définie.
163.000 Chypriotes grecs et des membres des petits groupes minoritaires ont tenté de survivre au flot colonisateur depuis lors.