Un des derniers billets de Jacques Sapir sur la "démondialisation" interpelle vivement: il met en cause dans son écrit (qui semble résumer l'un de ses derniers livres sur le sujet) l'approche "positiviste" de l'économie au sens où la "mondialisation", celle, immémoriale, des échanges séculaires entre cultures et civilisations, entre nations qui les composent, a été formatée, modélisée, depuis lesdites "trente glorieuses", dans une "globalisation" ou le quadrillage planétaire des économies d'échelle permettant aux FTN (firmes transnationales ayant remplacé dans le jargon les FMN, firmes multinationales) de passer de plus en plus outre aux différences juridiques sociales (et environnementales) en vue par exemple de vendre du porc breton, "reconditionné" en Pologne, aux…Bretons parce que cela coûte bien moins cher… Mais qui en profite et au détriment de quoi (d'où le non au Brexit d'ailleurs) ?…
Bien plus donc que la question de la "financiarisation" (ou ledit "néo-libéralisme) le fond de l'affaire serait encore plus profond: celui de cette gestuelle "positiviste"(dénoncée par Leo Strauss bien avant nombre des critiques actuelles) qui "force" ainsi à croire qu'en boostant principalement l'économie, eh bien "à terme", cela bénéficiera à tout le monde (on l'entend aussi aujourd'hui) et surtout cela amènera la paix entre les peuples (dans les années 20-30 avec l'Allemagne supposée ainsi "pacifiée"); mais peut-on croire que l'être humain, animal politique, se satisfasse d'être seulement nourri et soigné telle une bête de zoo (Pierre Hassner l'a rappelé récemment lorsqu'il analyse le "retour des passions") ?
Jacques Chirac (le si gentil alter-ego de François Hollande) justifia son soutien à un Ben Ali réprimant la colère de son peuple réclament la démocratie en disant qu'il fallait, d'abord, avoir le ventre plein, alors que Ben Ali avait détourné des milliards et des milliards (au nom également du soutien au peuple "palestinien") empêchant que son pays ne se développe réellement hors du tourisme, on a vu le résultat (près de 30% des jeunes diplômés, sont sans emploi…).
Mais les "marxistes" (léninistes) ne sont pas en reste car eux aussi croient aux vertus tous azimuts de l'économisme, pensant qu'il suffirait de "produire collectivement" pour ensuite "partager les richesses" alors que l'on a bien vu en URSS et dans tous les pays tiers-mondistes ayant à la fois adopté le mythe de l'industrie lourde (oubliant l'industrie légère) et de la politique de la demande (planche à billets) ils se sont tous écroulés en créant au bout du compte les problèmes migratoires d'aujourd'hui avec la radicalisation islamique et la cartellisation mafieuse (Venezuela, Mexique, Nigeria, Afrique centrale…) comme ferment et cerise sur le gâteau.
S'agit-il pour autant comme le pense semble-t-il Jacques Sapir que le retour, seul, à la "souveraineté" des peuples puisse tout à fait contrebalancer les effets négatifs de cette mondialisation corsetée en effet dans une globalisation hyper techniciste et mafieuse (les deux étant cependant distincts, quoique non séparés via le blanchissement et les accommodements géo-politiques…) donc sans une globalisation froide, sans visage, hormis le mouvement permanent des identités réduites à des simulacres, à de l'apparat youtubé (comme il a été vu lors de la fête de la musique au sein même du palais de l'Elysée) ?…
Si les peuples, du fait même du "droit des gens" ou la liberté celle du droit naturel lui-même (Grotius) veulent rester ce qu'ils veulent devenir et ce sans le quémander à quiconque, faut-il pour autant croire qu'il suffit, brutalement dit ici, que chacun reprenne maintenant ses billes, comme tente de le faire Donald Trump, sans pour autant peser également sur les instances européennes et mondiales pour changer de cap mais ce en proposant des solutions tangibles et non pas seulement négatives ?…
Ainsi en matière financière l'idée de sortir de l'Euro semble être avoir été abandonnée en Italie par la Ligue et le M5 parce qu'il serait en fait possible de créer une monnaie "locale" à l'instar des bitcoins pour financer les projets de réindustrialisation et de productions qualitatives propres à l'économie numérique, à la formation dans les services, et au passage vers le haut de gamme en matière industrielle (impression de produits en 3D par ex) tout comme en matière agricole de qualité, aussi dans le textile "intelligent" (comme cela commence à se faire : la fibre compensant les chauds/froids du climat) tout en se servant alors de l'Euro comme une espèce d'étalon-or : en ce sens les oscillations entre projets et régions, le coût de la Solidarité également, seraient compensés par un échelonnement du crédit/investissement via la banque centrale nationale et européenne (comme le font aussi les FMI et Banque mondiale) s'appuyant également sur le marché mondial des capitaux et des gestions des patrimoines pour booster l'ensemble si des accords politiques viennent faciliter le processus.
La question est donc la suivante : si l'économie en son fond morphologique consiste d'abord à rechercher le bien être (demande globale) dans ce cas la demande effective vient en préciser les contours par le marché et son innovation (le "jeu" de l'offre et de la demande justement).
L'économie est en fait d'abord une philosophie politique au sens de satisfaire une demande donnée de bien être, de "bonne" vie ; c'est le fait de se sentir bien ensemble vivant dans un "même" imaginaire une même filiation symbolique tissant transformant les corps physiques en chairs singulières gorgées d'histoire(s) voilà ce que le terme "nation en tant que communauté de destin" pourrait vouloir dire ; alors que l'inverse, la démocratie de l'avoir sans la nation, sans le bien public qui équilibre les deux (res/publica) harmonise au sens négatif : elle réduit les êtres humains singularisés dans leur nation (ou conscience commune/souffle, perception) à des nombres de corps indifférenciés, matière réduite à ses éléments (ou le "care") décharnés, littéralement, sans la chair animée des signes qui imbibent irriguent à chaque instant la pensée humaine et son souffle façonné pétri par le roulis des "travaux et des jours" (Hésiode).
Démocratie, République, Nation, et son mouvement dialectique entre élite et peuple forme ce triptyque qui aujourd'hui s'avère être un legs décisif pour forger le futur au lieu de se contenter d'opposer en plus platement politique de l'offre et politique de la demande ; cela a toujours été stérile (d'autant que jamais Keynes par exemple n'a opposé ces deux termes lorsqu'il est en prise avec la conception du bien être chez Pigou): l'offre, seule, ne suffit pas, quand bien même serait-elle bon marché, et les produits peuvent aussi ne pas trouver leur demande ou alors la formater à coup de com plutôt vers le bas de gamme, avec les dégâts que l'on voit dans le productivisme et sa sous-traitance destructrice, d'un côté, même si, de l'autre, elle permet aussi de sortir de la misère nombre de victimes du totalitarisme soviétique et tiers-mondiste. Mais cela suffit-il ? La Pologne, la Hongrie, La Tchéquie, la Slovaquie, le Danemark, les Pays-Bas, disent non… L'Autriche, l'Italie, les USA, l'U.K, également…Du moins une majorité de leur peuple, cela commence à faire beaucoup…
Résultat:les souverainistes façon Sapir posent de bonnes questions, mais les réponses semblent insuffisantes, du moins pour rassembler suffisamment les peuples encore hésitants pour aller dans un avant qui apparaît trop tourné encore vers le passé peu concluant de l'étatisme et du nationalisme corporatiste (gaullisme compris). Si d'aucuns cherchent à construire un front des patriotes ce n'est semble-t-il pas en refusant de penser aussi globalement : penser global et agir localement ne doit pas être une formule réservée aux (faux) écologistes… Du moins si l'on prend ce terme au sérieux.